archive élastique

Merlin Carpenter

du au

Merlin Carpenter est un artiste-peintre dont la pratique picturale, afin de réfléchir sur elle-même, n’hésite pas à dépasser les limites de son cadre et s’étend davantage vers d’autres mediums ou d’autres domaines. Il garde simultanément un regard critique consciencieux et évolutif sur les enjeux de la critique institutionnelle ou des versions contemporaines de l’art « contextuel ». Il s’interroge constamment sur son médium, ses conditions d’apparition, son mode existentiel, et ce que signifie être artiste aujourd’hui, dans les rouages du capitalisme.

S’appuyant sur les théories de la valeur dans le système capitaliste chez Marx (comme en attestent ses nombreux écrits théoriques accompagnant sa pratique artistique1 ), la critique artistique ne se contente plus désormais d’agir comme exemple de développement pour le capital mais, elle-même prise dans son étau, et quoiqu’elle stigmate ou dénonce, elle agirait directement pour lui selon l’artiste. Aussi, les projets de Merlin Carpenter sont à chaque fois l’occasion de réagir aux différentes crises ponctuant l’histoire récente du capitalisme, même si elles doivent leur imposer un revirement conceptuel, les retranchant parfois dans la contradiction. Conscient que le capitalisme sort toujours plus renforcé qu’affaibli de ces crises, Merlin Carpenter cherche alors une autre façon de maintenir une certaine liberté artistique et intellectuelle.

Si l’on considère que les visiteurs de lieux culturels ont désormais les réflexes de consommateurs, et sont des consommateurs de culture, d’art... alors certaines de ses expositions récentes visaient à empêcher la satisfaction du désir immédiat du visiteur/consommateur. Dans ces expositions, les œuvres cachées, dissimulées, sont réalisées avec des matériaux pauvres ou considérés comme impropres à l’art. Et lorsqu’il peint des tableaux figuratifs, permettant a priori de donner aux regardeurs ce dont ils semblent avoir besoin pour assouvir leurs désirs, ceux-ci ont quelque chose de crypté ; ils sont soit kitsch, soit bien peints mais leur sujet ne se donne pas de manière immédiate. Se faisant, Merlin Carpenter admet volontiers que son art est impliqué dans la création de valeur et s’il peut paraître abscons, décevant ou parfois iconoclaste, l’artiste considère que toute démarche anti-esthetique ou anti-spectaculaire, ayant une forte connotation critique ou subversive il y a encore quelques années, est désormais condamnée à être académique et même décorative, à devenir un cliché de « l’art contemporain », allant à l’encontre de l’effet escompté. C’est précisément là qu’il lui semble le plus pertinent d’agir, dans ces interstices où le capital absorbe ce qui s’oppose à sa logique. Merlin Carpenter ne fait donc pas de l’art seulement pour produire de l’art, mais pour mettre en avant le contexte de son art, la situation dans laquelle celui-ci se fait et évolue. Là où d’autres considèrent comme secondaire tout cet appareil de mise en valeur de l’art, l’artiste choisit une démarche esthétique consistant à le mettre en évidence. Si son travail ne tend pas à représenter une fin en soi, ou parvient à des fins autres que les siennes, il se retrouve impliqué au sein de l’opération perpétuelle d’un contexte social toujours plus imprévisible.

L’exposition archive élastique prend comme point de départ l’implantation de la synagogue de Delme, et la route traversant le village sur laquelle circulent quotidiennement de nombreux camions et convois exceptionnels. En pleine zone rurale, cette circulation est crispante. La France est une machine à distribuer. Aussi, et puisque la synagogue/espace d’exposition se trouve au bord de cette route, l’artiste propose d’en faire un entrepôt de stockage ou un lieu d’archivage, dans lequel se trouveraient des milliers de boîtes, dans l’attente d’être transportées. Juste devant l’entrée de la synagogue se trouve un chariot élévateur, garé et prêt à charger les palettes dans des camions pour une hypothétique livraison. Mais aucun chariot élévateur de ce type ne pouvant s’introduire par les portes, le véhicule est condamné à attendre à l’extérieur.

(1) Lire par exemple Merlin Carpenter, “The Outside Can’t Go Outside”, Institut für Kunstkritik, Staatliche Hochschule für Bildende Künste - Städelschule, Frankfurt am Main, Sternberg Press, Berlin, 2018.

L'exposition bénéficie du soutien de Fluxus Art Projects.