Rodolphe Huguet / présentation des foulards en soie

accompagnée d'un texte de Pauline Lisowski ,

du au

À la galerie Des jours de lune, la série de dessins de confettis de Rodolphe Huguet attire notre regard par la diversité de couleurs et de compositions géométriques, presque hypnotiques. Les pastilles de couleurs sont délicatement rangées ; chaque couleur de confetti a été minutieusement choisie. Ses travaux expriment un désir d’un moment festif, toutefois contraint. Des percées à travers cette grille suggèrent une potentielle ouverture, un geste libérateur. La géométrie de la forme est bouleversée. Ce travail relève d’une très grande concentration de la part de l’artiste qui a pris soin de coller les confettis un par un, créant ainsi un champ coloré qui convie notre regard à se déplacer. Réalisés pendant les confinements successifs, ses dessins sont le fruit d’une condition de travail qui diffère des habitudes de l’artiste. Le titre de l’exposition « Sittefnoc, senifnoc » résonne poétiquement mais traduit « Confettis confinés », rappellant la période que nous avons vécu chez nous ces derniers mois. L’artiste a retrouvé un plaisir intérieur de composer avec soin cette série sur papier. En lisant l’histoire de ces petits fragments que l’on prend plaisir à lancer lors de moments festifs, nous découvrons qu’ils furent l’objet d’interdiction pour différents motifs, notamment durant les épidémies de pestes. L’artiste rappelle combien nous nous adaptons aux conditions imposées par une société de contrôle. Malgré des journées de replis, il a trouvé des instants pour s’exprimer et de nouvelles méthodes de travail, afin de résister à l’impossibilité de voyager.
En parallèle de cette série de dessins, des œuvres plus anciennes témoignent de la démarche d’un artiste, avide de déplacements aux quatre coins de la planète, qui prend le temps de faire avec ce qu’il trouve sur place et suite à ses rencontres avec des habitants. Accompagné par des artisans, il produit des œuvres qui impliquent un savoir-faire et d’où peuvent naître un échange dans différents contextes de travail. Son apprentissage des techniques l’amène à les pousser à l’extrême afin de nous inciter à réfléchir aux usages et symboles des matières employées.
Des sculptures de camera se découvrent peu à peu en parcourant la galerie. À partir d’un d’éléments de rebut, emballage d’objets de la vie courante (boîtes de biscuit, bouteilles, bâtons…), qu’il fond en bronze, cet objet de surveillance apparaît. Ce travail est le fruit d’une résidence de l’artiste en Franche-Comté, en 2005, année à partir de laquelle les villes ont commencé à se doter des caméras de surveillance. Il en avait installé dans des treize villages, là où justement leur présence paraîssait incongrue. Avec un certain humour, l’artiste s’emploie à une critique d’un système. Ses œuvres ici recontextualisées nous font prendre conscience d’une société de contrôle à laquelle on ne peut échapper.
Si la grille se révèle dans sa série de dessins de confettis, elle est enfermée dans l’œuvre Cimetière de frontières, réalisée suite à une résidence à la verrerie de Passavant la Rochère, qui relève du paradoxe d’une impossibilité de voir à travers le verre. Un morceau de grillage y est pris au piège ou bien enfoui, nous permettant d’imaginer une possible liberté.
Les questions liées à la limite, aux frontières traversent les œuvres de l’artiste. Il met en forme des matériaux qu’il assemble afin de révéler leurs caractéristiques, la dureté du fil barbelé, la fragilité et la puissance du verre. Son Bouquet, également créé durant cette même résidence, impose une grande ambiguïté quant à son symbole et à quoi renvoient les matériaux employés. Les plantes sont devenues des tiges de fer surmontées de 12 verres soufflés dont le pied est recouvert d’or 24 carats cuit. Même s’il semble à première vue séduisant et décoratif, ce bouquet ne serait-il pas signe du danger ? S’en approcher conduirait à être possiblement en danger…
Le travail artistique de Rodolphe Huguet a deux grilles de lecture, pouvant ainsi être vu pour le soin qu’il porte à l’utilisation de ses matériaux, à leur assemblage et avec du recul, de l’analyse, le sens profond, caché se dévoile à ceux qui prendront le temps d’en percer le mystère. Ses œuvres condensent son attrait pour la transformation de la matière et pour les multiples sens qu’elles revêtent. À la galerie, elles nous invitent à nous interroger sur la nécessité d’avoir des espaces de rêverie, de liberté et d’évasion afin de pouvoir laisser notre regard circuler et se prêter au jeu de la réflexion.
Pauline Lisowski